« Plus rien ne sera comme avant », « il faut tracer un nouveau chemin »... dans lequel l’École s’adaptera enfin aux impératifs sociaux ? A écouter ces beaux discours, on pourrait croire que le célèbre platane de la cour du Ministère de l’Éducation nationale sera bientôt remplacé par un buste de Janus. Pourtant, septembre semble se préparer comme une rentrée normale, « business as usual » !

En réalité, le ministère installe sa normalité, sa conception d’une École au rabais, au sein d’un service public affaibli. Alors, 500 milliards d’€uros pour éviter l’effondrement économique, et rien pour investir dans l’Éducation ? Aucune remise en cause de la dégradation du service public d’Éducation nationale, accéléré par les des réformes délétères ? Inertie coupable, alors que chaque jour confirme un peu plus le rôle essentiel de l’École, lieu incontournable d’apprentissage et de socialisation. Et nous oblige collectivement à en mesurer les attentes..

D’abord, prendre en compte les inégalités scolaires, c’est donner la capacité aux personnels de gérer l’hétérogénéité des classes, en adaptant leurs pratiques pédagogiques, et d’accompagner les élèves, en particulier les plus fragiles. Il n’y a pas de solution miracle, et la mise en avant du numérique comme la promotion de la « EdTech » ne sont que mirages visant à externaliser les missions de l’École et à réduire les besoins en personnel. Les remèdes sont radicalement différents des réformes engagées ces 20 dernières années.

Premier axe, améliorer l’encadrement dans les établissements. Cela passe par l’arrêt des suppressions de postes d’enseignants, mais aussi par le renforcement des équipes éducatives, en recrutant CPE, AED, personnels de santé, AESH, PSY-EN, en revalorisant l’ensemble de ces métiers. L’augmentation structurelle des moyens humains doit permettre de mieux suivre les élèves, et de constituer des classes avec des effectifs raisonnables.
De même, il faut revenir à des dédoublements définis nationalement, un véritable accompagnement personnalisé, financé à la hauteur des besoins, bénéficiant réellement aux élèves les plus fragiles, et une politique plus volontariste pour l’Éducation prioritaire.

Deuxième axe, faire confiance aux personnels, principe totalement dévoyé par la communication ministérielle. Les chefs d’établissement récupèrent de plus en plus de prérogatives pédagogiques, la main sur tous les recrutements, et les nouvelles missions des professeurs principaux les poussent à créer une nouvelle hiérarchie intermédiaire, sorte de contre-maître gérant des équipes.
Il faut au contraire réduire les prescriptions sur le travail. Oublier le formatage, et, à l’aide de formations pluralistes s’appuyant sur les sciences sociales et les sciences de l’éducation, favoriser l’hétérogénéité des pratiques pédagogiques, redonner le rôle de concepteur au métier de professeur. En cela, les programmes scolaires, livrés à la hâte au lycée, bientôt adaptés en ce sens au collège, obligent, par leurs obstacles pédagogiques et leur inadaptation à nos publics, à relâcher les exigences, à avancer coûte-que-coûte. Revoir les programmes, c’est permettre de construire des savoirs solides, donner du temps aux apprentissages, in fine élargir les capabilités de tous les élèves.

Enfin, la crise sanitaire a mis à nu les problèmes inhérents à la décentralisation de l’Éducation nationale. Les moyens de la commune, du département, de la région, conditionnent de plus en plus l’équipement des établissements, l’entretien du bâti, etc. A rebours de donner plus à ceux qui ont moins, ce système de renvoi au local ne peut que renforcer à terme les inégalités territoriales.
Dans ce même élan, le baccalauréat version Blanquer et Parcoursup consacrent l’éclatement du cadre national, avec un diplôme à valeur locale et une autonomie renforcée des établissements du supérieur, brouillant les cartes et les possibilités d’orientation.

Seule la mise en œuvre de ces principes permettra la réussite de tous les élèves, d’agir contre les inégalités sociales et territoriales, à travers une amélioration des conditions d’apprentissage, consubstantielles aux conditions de travail des personnels.

Les chantiers sont ambitieux, en ce qu’ils doivent être à la hauteur des enjeux de démocratie et d’émancipation. Ils doivent s’incarner dans des choix politiques forts. Jusqu’à présent, on peut deviner quel profil de Janus convient au ministère, avec son projet réactionnaire pour l’École. A nous, à la société civile, d’imposer un regard vers un autre horizon.