Le ministre se fait une joie d’appliquer les préconisations d’un rapport qu’il a commandé lui-même...

LE RAPPORT

La commission dirigée par Mme Chantal Manès (IPR d’anglais) et M. Alex Taylor ( journaliste) a rendu le 12 septembre dernier son rapport au ministre de l’éducation. Ce rapport a le mérite de pointer certains problèmes d’enseignement des LVER en France et les malaises dont souffrent les professeurs de langues. Il constate ainsi que « la France arrive bien au dernier rang des pays européens quant à la maîtrise des langues étrangères enseignées à l’école » (p .3) et que « les enseignants de langues se sont … toujours sentis davantage concernés que leurs collègues par le malaise enseignant … : les difficultés concrètes du métier peu prises en compte, la dégradation de l’image de l’enseignant dans la société, le sentiment d’impuissance face à l’idéal de réussite de tous les élèves. » (p.30) Le rapport loue en général l’investissement et la compétence des professeurs de langues, mais il déplore le fait qu’il y a de plus en plus de postes ouverts au concours qui ne sont pas pourvus suite au « niveau insuffisant en langue » des candidats, surtout en anglais. (p. 31)

On pourrait s’attendre suite à de pareils constats à trouver des propositions de bon sens comme former mieux et recruter plus de professeurs, augmenter les horaires des langues sur tous les niveaux pour améliorer les performances des élèves, prendre en considération la surcharge de travail des professeurs, etc. Mais il n’en est rien.

Le fait qu’il n’y a pas assez d’heures n’est pas nié par la commission, qui avoue que « La diminution des heures de la discipline, particulièrement au lycée, est difficilement acceptée. » Elle se dit ne pas être opposée à l’augmentation à trois heures dans le tronc commun, mais elle se plie aux « conséquences budgétaires lourdes ». La recette miracle trouvée par les auteurs du rapport est autre : c’est le « outsourcing ».
Une des idées préconisées par le rapport est de s’appuyer sur les locuteurs natifs, en soutenant des « initiatives originales comme celle proposée par les Franco-British Young Leaders, menée par un groupe de jeunes entrepreneurs binationaux qui se proposent de faire intervenir dans les classes du primaire des natifs. » (p. 35) Mais cela pose problème : Où les trouver ? En quoi cela compenserait-il un horaire insuffisant ? Le rapport ne le dit pas.
Il faut également « encourager les enseignements d’autres disciplines en langue étrangère. Les textes le permettent à hauteur de 50 % de l’horaire total de la discipline concernée », précise le rapport. (p.26) Le but de telles propositions est clair : en se reposant sur des natifs volontaires ou des professeurs enseignant une matière non-linguistique, le ministère gagne double : les natifs coûtent beaucoup moins cher, et les professeurs de maths (p.ex.) vont en même temps aussi enseigner ... une LVE ! Plus besoin de profs de langues 
Ces solutions bon marché se soucient peu de l’intérêt des élèves : ils n’ont généralement pas le niveau pour suivre l’enseignement d’une autre discipline dans une LVE – faute à trop peu d’heures. Pour cela, il faudrait des bases solides, donc plus de professeurs et plus d’heures de langue !

À cela s’ajoutent d’autres propositions encore plus inquiétantes, particulièrement celle d’une certification en langue en Terminale.

LES PREMIÈRES MESURES

Blanquer n’a pas beaucoup attendu pour réaliser cette préconisation du rapport : le site de Cambridge annonce un changement de niveau pour les certifications !
"Le Cambridge English Certificate de niveau A2/B1 en classe de Seconde européenne n’est pas reconduit pour l’année scolaire 2018-2019. Suite à un nouvel appel d’offre du Ministère de l’Education nationale, la certification et l’examen ont été remaniés pour s’adresser à un nouveau public. Le Cambridge English Certificate est maintenant une certification de niveau B2 (sortie possible aux niveaux B1 et C1), destinée aux élèves en classe de terminale et aux étudiants de certains BTS. Cette nouvelle version de l’examen est proposée dès la rentrée 2018."
Ce changement n’a pas été signalé aux établissements qui ont parfois déjà commencé à organiser les épreuves pour les secondes, comme d’habitude. Ni les rectorats, ni les IPR ne semblaient officiellement informés de ce changement important ! Aucun texte officiel n’a été publié. Nous pouvons également nous interroger sur ce qu’il en est de l’allemand et de l’espagnol. Ce nouveau contrat n’annoncerait-il pas une généralisation de ce type de certification, qui s’ajouterait aux épreuves du baccalauréat ? Cela s’inscrirait complètement dans la logique de Parcours Sup’ qui prévoit des lettres de motivation et un CV, et dans celle de la réforme lycée qui, sous couvert d’autonomie, exacerbe la concurrence entre établissements et renforce les inégalités sociales.

Dans la réforme lycée, les langues vivantes perdent encore du terrain : si les horaires ne changent pas dans le tronc commun, la langue renforcée ainsi que la littérature étrangère en langue étrangère disparaissent au profit de la spécialité « langues, littératures et cultures étrangères », qui pourtant ne permettra l’apprentissage que d’une langue ! Un élève qui aurait choisi cette spécialité se retrouverait donc avec un enseignement de LV de 2 h dans le tronc commun + 4, puis 6h de spé d’une seule et même LV en première puis terminale … Cela ne correspond pas vraiment au profil des élèves qui veulent faire des LV : en général, ils veulent en étudier plusieurs. Une telle contrainte amènera soit au tout anglais, soit au délaissement de cette spécialité. Quant aux sections Euro, aucun financement n’est prévu pour elles. Il est possible qu’elles fassent les frais de dotations horaires insuffisantes pour contenter tout le monde. Il est probable que les effectifs des groupes de LV grimpent également, puisque la réforme est conçue pour faire des économies d’échelle et que le groupe à 35 est la seule référence.

Gilda Pasetzky, Nathalie Faivre