Ou comment l’École est gérée comme le privé
Qu’est-ce que c’est ?
Méthodes modernes de management apparues dès les années 1980 en accompagnement du tournant ultra-libéral (Reagan, Thatcher, chute du communisme, développement de l’économie financière, délocalisations et chômage)
Différentes théories destinées à justifier les stratégies des actionnaires :
reengeneering (repenser les processus de gestion), downsizing (réduire la masse salariale), delayering (réduire les échelons hiérarchiques), corporate governance (dirigeants et actionnaires seuls acteurs de l’entreprise), empowerment (travail en équipes autonomes, mais décision d’en haut)
Caractéristiques communes : baisse des coûts, culture du résultat immédiat et des indicateurs, salarié = coût
Les techniques appliquées dans l’EN :
L’idée principale du NPM est que les méthodes de management du secteur privé, supérieures à celles du secteur public, peuvent lui être transposées. Le secteur public est jugé inefficace, excessivement bureaucratique, rigide, coûteux, centré sur son propre développement (le mammouth), non innovant et ayant une hiérarchie trop centralisée.
Naissance idéologique dans les années 70, mais première mise en place dans les années 2000 seulement :
Au niveau européen, accords de Lisbonne ; OCDE*
Au niveau national, réformes de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), Révision générale des politiques publiques (RGPP) puis Modernisation de l’Action Publique (MAP) ;
Dans l’éducation, loi Libertés et Responsabilités de l’Université (LRU) puis différentes réformes (lycée, formation des enseignants, réforme du collège)
* Les discours de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economique)
« Si l’on diminue les dépenses de fonctionnement, il faut veiller à ne pas diminuer la quantité de service, quitte à ce que la qualité baisse. On peut réduire, par exemple, les crédits de fonctionnement aux écoles ou aux universités, mais il serait dangereux de restreindre le nombre d’élèves ou d’étudiants. Les familles réagiront violemment à un refus d’inscription de leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de la qualité de l’enseignement et l’école peut progressivement et ponctuellement obtenir une contribution des familles, ou supprimer telle activité. Cela se fait au coup par coup, dans une école mais non dans l’établissement voisin, de telle sorte que l’on évite un mécontentement général de la population. »
Cahier 13 de l’OCDE, 1996
Modalités d’application :
Mise en place d’une « planification stratégique » : budget par objectifs
Ex : facturation à l’acte à l’hôpital
Séparation des fonctions politique (conception) et administrative (mise en œuvre)
Ex : Blanquer décide qu’on va remettre les maths au lycée... sans étude de faisabilité
Gestion par les résultats, généralisation de l’évaluation (culture de la performance) Multiplication des tableaux de bord, pilotages, directives et échéances
Ex : pilotage des établissements
Rôle central de l’évaluation dans l’allocation des ressources : financement par projet, contrat d’objectif (à venir dans l’éduc)
Privatisations, mise en place de partenariats public/privé, externalisation
Ex : certifications en LV
Déconcentration et/ou décentralisation ms interventionnisme de l’État et autoritarisme local.
Ex : « autonomie » des établissements
Réduction des effectifs
Ex : 7900 postes en moins sur 5 ans ; développement des contractuels
Individualisation des rémunérations, primes au rendement, mérite (projet Macron)
Conséquences sur le travail :
Augmentation de la productivité, mise en concurrence des salariés (mérite), précarisation
Autonomisation de façade du processus de travail mais sans pouvoir de décision sur les objectifs
Multiplication d’indicateurs sur lesquels une mise en concurrence est organisée pour l’excellence et l’efficience (faire plus avec moins)
Destruction de l’identité professionnelle, souffrance au travail, maladies prof
Dislocation des collectifs de travail
Le chef d’établissement, courroie de transmission du MEN
Constat du MEN
« impossible de réformer l’Educ », enseignants réfractaires à tout changement => chefs d’établissement considérés comme leviers des changements.
Outils :
contrat d’objectifs,
projet d’étalissement,
lettre de mission
Tout chef d’établissement doit faire un diagnostic dans les 6 mois qui suivent son arrivée, puis le recteur lui donne une lettre de mission. Il sera évalué sur :
les résultats aux exam,
la gestion des flux élèves,
l’attractivité de l’étab,
l’offre de formation,
le climat scolaire.
Il est comptable des résultats de son étab (prime modulable)
Évolution des prérogatives des chefs au sein de l’EPLE
Corps très organisé et très syndiqué (80% de taux de participation aux élections professionnelle !!),
Travail de lobbying depuis des décennies + difficultés de recrutement => concessions MEN
statut spécifique depuis 2001
avantages financiers (primes, HC au bout de 7-8 ans, même salaire final qu’un IPR)
mais plus grand contrôle (indicateurs , pratiques normalisées, mobilité contrainte)
Profils très diversifiés depuis quelques années (plus seulement des anciens profs) => concours « passerelles » avec les autres FP.
Passage d’une formation par les pairs (culture d’étab) à une formation en école dès 1995 (culture aca, recteur donneur d’ordres), place aux techniques de management
Rôle de l’ESEN ! (fiche laguigne)
Réformes successives : lycée, collège, REP, loi de l’École de la confiance, loi de transformation de la fonction publique
Autonomie des étab, le local est mieux à même de résoudre les pb : pouvoir sur l’utilisation de la DGH, la distribution des heures dans les différentes disciplines, la grille horaire élèves (25 % des h en seconde), les structures, les groupes, avec la réforme → rôle accru du conseil péda et marges d’autonomie. Affichage d’une souplesse de façade car pénurie de moyens, pas d’autonomie dans les objectifs.
Textes de loi rédigés de façon volontairement floue pour laisser une marge d’interprétation : statuts, Rep +, devoir d’exemplarité...
Volonté de livrer le volet péda aux chefs d’étab pour faire changer les pratiques ; interdisciplinarité privilégiée (réforme collège = EPI, réforme bac = SPÉ) :
« Il s’agit d’un levier extraordinaire pour manager votre établissement et asseoir votre compétence pédagogique. Avec cet outil c’est réglé, certains partenaires sociaux ne pourront plus vous la contester ». (Roger Chudeau, directeur de l’encadrement du MEN le 19.03.2010 lors d’un congrès du syndicat ID)
Rapprochement chefs d’étab – IPR
« Dès qu’un chef d’établissement rencontre une difficulté, les inspecteurs arrivent en masse, convainquent les récalcitrants et les verrous sont levés. » (Roger Chudeau, directeur de l’encadrement du MEN le 19.03.2010 lors d’un congrès du syndicat ID)
Émergence d’une hiérarchie intermédiaire (coordonnateurs de disciplines, conseil péda…) => facilité à cliver les équipes.
Les postulats du chef qui arrive
« Reprise en main » de l’établissement lorsqu’ils arrivent
Loyauté absolue vis-à-vis des ordres du recteur
Reprise à leur compte des formules langagières communiquées par le MEN/le recteur
Presque tous les profs sont rétifs au changement, il faut les forcer
Instructions de leur principal syndicat pour suivre le moins possible les protocoles décisionnels prévus (conseil peda, CA, transmission des infos en général…)
Les conséquences :
Le chef d’étab doit amener les profs à exécuter sa lettre de mission, qui doit rester secrète, sans leur dire quels sont ses buts
La rationnalité managériale se heurte à la rationnalité pédagogique
Cela explique pourquoi les chefs d’étab cherchent
à ne jamais faire de conseils de discipline ;
à s’accaparer des projets ;
à contrôler les notes des élèves
à diviser pour mieux régner,(Classement des profs en 3 catégories : moteurs – suiveurs – récalcitrants ;Tentative pour isoler les récalcitrants et mettre les suiveurs de leur côté)
à faire exploser les collectifs de travail,
à distribuer arbitrairement HS, services et EdT
à faire émerger une hiérarchie intermédiaire illégitime,
à mettre de côté les organisations syndicales,
à éliminer toute contestation, à n’importe quel prix
D’où les problèmes entre les chefs d’établissement et les collègues qui refusent de renoncer à leur intégrité