Durant toute cette période, le recteur a tenu un point hebdomadaire d’information avec les organisations syndicales, durant lequel nous sommes intervenus sans cesse dans le sens de l’intérêt des collègues et des élèves. Ces rendez-vous ont été un révélateur de plusieurs aspects du fonctionnement de l’État :
Un pouvoir vertical, les échelons inférieurs livrés à eux-mêmes
À de nombreuses questions de notre part, la réponse a été : « J’attends la communication du ministre/du premier ministre/du président. » Tout comme nous, il regardait la télévision pour en savoir plus et s’empressait ensuite de mettre en musique les ordres tombés d’en haut, délégant aux échelons inférieurs le soin de l’application sur le terrain des instructions gouvernementales en un temps record et parfois même sans les moyens matériels nécessaires. À aucun moment, il n’a voulu prendre de décisions de cadrage rectoral pour uniformiser les situations dans l’académie. C’est ce qui explique la diversité des situations rencontrées en établissement, chaque chef étant laissé relativement libre d’appliquer les instructions à sa guise.
Une absence de coordination des différents acteurs étatiques
L’épisode des masques commandés par la région et préemptés par l’État a fait couler de l’encre, mais il est loin d’être le seul dans les relations parfois tendues entre les différents services de l’État. Entre le rectorat et les collectivités territoriales, tout ne va pas au mieux. Le recteur n’a pas été satisfait de la façon dont la région a fait reprendre le travail à ses personnels agents de service : trop lentement, trop peu à son goût, ralentissant la réouverture des lycées. Il n’a pas été satisfait non plus des maires qui ont décrété leur incapacité à accueillir les enfants dans le respect du protocole sanitaire et ont trop tardé ou tardent encore à rouvrir leurs écoles : il envisage même de déposer un recours contre eux au tribunal administratif ! Dans l’autre sens, l’Éducation Nationale a donné aux hôpitaux ses stocks de masques en mars et mis les infirmières scolaires à disposition des services hospitaliers au plus fort de la crise sanitaire.
Mais dans la série des incohérences, les pires ont été les interventions intempestives du ministre de l’Éducation, régulièrement contredites par le président ou le premier ministre : c’est avec soulagement que le recteur nous a indiqué que « désormais, le ministre de l’Éducation s’exprimera toujours APRÈS le gouvernement...
Un ministère de tutelle absent... ou en embuscade ?
Notre premier sentiment a été de devoir nous débrouiller sans l’aide de personne au début du confinement : nous avons dû improviser pour maintenir le lien avec les élèves, repenser nos cours pour un enseignement à distance, trouver des solutions aux serveur du ministère saturés – le tout avec notre propre matériel. Pendant ce temps, le ministre décidait au compte-goutte et sans cohérence d’aménagements pourtant rendus nécessaires par la situation (examens, concours de recrutement...). Malgré le manque total d’anticipation et de pragmatisme dont il a fait preuve, il a utilisé la crise pour faire avancer ses positions dans plusieurs domaines :
Les cours à distance sont une source potentielle d’économies et le recteur a déjà annnoncé vouloir les conserver dans certains contextes (petits établissements, disciplines rares ?) ;
Le contrôle continu comme mode d’évaluation au bac était l’un des objectifs de Blanquer ;
Les « vacances apprenantes » vont rogner sur celles des profs, ce qui est déjà inscrit en partie dans la loi pour l’école de la confiance ;
Le dispositif 2S2C est un pas vers l’externalisation des activités sportives et artistiques, jusqu’ici assurées par des enseignants. Sur les 48 dispositifs mis en place durant la crise, le recteur veut en garder le plus possible.
On l’aura compris, le « monde de demain » ne sera pas fait de lendemains qui chantent. Nous devrons être vigilants si nous ne voulons pas voir un nouveau train de mesures régressives se profiler.